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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/163

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noirs qui brillent dans la coupure du voile blanc. Mais il aimait aussi les pâles figures d’Holbein, avec leurs yeux bleus et leurs cheveux blonds, mélancolie des vieux âges qui n’est plus la nôtre.

Avec Horace il rêvait à l’esclave ionienne qui danse au son des crotales et vous jette du falerne au visage ; elle a sur l’épaule une marque de dent, que son maître lui a faite hier en lui promettant de l’affranchir. Comme elle s’entend à tourmenter les cœurs et à capter les héritages !

De la passion grecque, sévère, gracieuse et soupirante, il entra dans l’amour romain, ce vieil amour chaud et cuit du Latium, sentant la chèvre et la peau de bête, et qui s’en va à partir de César, se ramifiant à toutes les folies, s’élargissant dans toutes les lubricités, tour à tour égyptien sous Antoine, asiatique à Naples avec Néron, indien avec Héliogabale, sicilien, tartare et byzantin sous Théodora, et toujours mêlant du sang à ses roses, et toujours étalant sa chair rouge sous l’arcade de son grand cirque où hurlaient les lions, où nageaient les hippopotames, où mouraient les chrétiens.

Il adorait la courtisane antique, telle qu’elle est venue au monde un jour de soleil, la femme belle et terrible, qui bâtit des pyramides avec les présents de ses amants, devant qui se déploient les tapis de Carthage et les tuniques de Syrie, celle à qui l’on envoie l’ambre des Sarmates, l’édredon du Caucase, la poudre d’or du Sennahar, le corail de la mer Rouge, les diamants de Golconde, les gladiateurs de Thrace, l’ivoire des Indes, les poètes d’Athènes ; il y a à sa porte, attendant qu’elle s’éveille, le satrape du roi de Perse, l’ambassadeur des Scythes, les fils de sénateurs, les archontes, consuls, et des peuples venus pour la voir. C’est la créature pâle, à l’œil de feu, la vipère du Nil qui enlace et qui étouffe ; elle bouleverse es empires, mène les armées à la guerre et s’évanouit sous