Aller au contenu

Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux ou trois vieilles plumes oubliées dans un cahier et qui pétillaient sur les cendres.

Puis il se mit à rire.

— De quoi ris-tu ? demanda Mme Émilie. À quoi penses-tu ? ajouta-t-elle en venant s’appuyer sur son épaule.

— À quoi je pense ?

— Oui, à quoi penses-tu ?

— C’est qu’il n’y a pas seulement que l’avenir qui s’en aille en fumée, regarde notre passé !

Et il contemplait les gazes noircies qui s’éteignaient et montaient le long de la plaque.

Émilie ne parlait pas ; elle regardait comme lui, elle s’était assise sur ses genoux.

— Te rappelles-tu, lui demanda-t-il, te rappelles-tu, un soir de l’autre hiver, où nous étions tous réunis auprès d’un feu comme celui-là, et où une boulette de papier comme celles-là brûlait et voltigeait dans la cheminée ?

Elle ne répondit pas, elle eût pleuré.

— Qu’il y a longtemps de cela ! n’est-ce pas ? nous nous sommes tant aimés depuis ! Émilie, nous ne nous presserons plus les mains sous la table.

— Non, fit-elle en soupirant.

— Nous ne nous promènerons plus ensemble dans le jardin.

— C’est vrai !

— Adieu pour toujours aux soirées silencieuses où je te regardais, adieu à cette chambre !

— Et à la tienne que j’aimais tant ! reprit-elle.

— Ah ! nous y avons été bien heureux ; ceux qui y viendront après nous auront beau vouloir l’être, les murs ne leur seront pas si doux.

— Mais nous y avons souffert cependant, moi surtout !

— Et moi ?

— Qu’importe ! je ne me rappelle que le bonheur.