Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/235

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terre inconnue et un avenir inconnu, était plutôt de ces belles tristesses qui sont mêlées de plaisir, qu’une certaine langueur adoucit, et qui ont quelque chose à la fois de l’espérance et du souvenir, car elles font mal, et on les aime.

Le hasard voulut que le capitaine Nicole se trouvât alors à New-York et prêt à revenir en France ; ils choisirent son bâtiment, et, toutes les chambres se trouvant libres, comme ils étaient les seuls passagers du bord, ils reprirent la leur. La traversée fut belle, plus belle qu’en venant, il y eut encore des clairs de lune qui brillèrent sur les flots et blanchissaient les voiles.

Après le souper, ils venaient s’asseoir sur le gaillard d’arrière pour écouter le bruit du cabestan et des chaînes, le grand murmure qui grondait au fond de l’horizon, les vagues qui clapotaient à la proue ; cette même harmonie charmait moins leurs oreilles, leurs cœurs ne s’y ouvraient plus pour en aspirer la beauté, c’étaient choses vieilles et connues.

Quoique Henry supportât mieux la mer, le voyage lui parut plus long, il faillit s’évanouir quand on aperçut les côtes de France.

Du Havre à Paris ils passèrent par les mêmes villages, ils revirent les mêmes arbres, verts comme autrefois et toujours jeunes ; ils avaient fleuri deux fois depuis qu’ils ne les avaient vus.

Arrivés à Paris, Henry et Mme Émilie se logèrent dans l’hôtel où descendait la diligence, en attendant qu’ils se fussent trouvé un logement convenable dans quelque quartier paisible, isolé du centre.

Henry alla bien vite chez Morel, pour avoir des nouvelles de sa famille et savoir où en étaient les choses.

Tout le monde entreprit de lui faire quitter Mme Renaud et de le ramener enfin à un célibat moins conjugal ; Morel lui-même s’en mêla, y usa son élo-