cachent les yeux, il n’a pas de gants, il trotte menu et roule sous lui-même sans avancer bien vite, quoique on dirait qu’il se dépêche et qu’il semble essoufflé, à sa respiration bruyante et à voir ses pommettes rouges.
Le voilà devant la grille du Luxembourg, celle qui donne dans la rue de Vaugirard, en face les galeries de l’Odéon, où nous allions autrefois fumer des cigares et nous promener quand il pleuvait. Il descend le trottoir, l’autre le monte ; ils se sont aperçus, ils se sont reconnus ; subitement le bonhomme a rougi par-dessus sa rougeur, le jeune homme a pâli, son œil lance un éclair.
Ils se sont arrêtés un instant, mais ils continuent leur chemin ; ils s’avancent l’un vers l’autre, ils se regardent face à face.
— Ah ! c’est vous ? dit le vieillard.
— Après ? qu’est-ce que vous réclamez ?
— Allez-vous me laissez passer ?
Leurs corps se touchent presque, ils se dévorent du regard sans rien dire.
— Polisson ! s’exclame à la fin le plus vieux.
— Imbécile !
— Misérable !
— Vieille bête !
Ils vont se battre, ils ferment leurs poings.
— Ah ! infâme ! grince le petit homme, c’est toi ! c’est toi !
— Allons, cocu !
— C’en est trop !
— Oui, vous l’êtes beaucoup !
— Impudent ! canaille !
Et il s’empara d’un des in-folio du bouquiniste qui est là, pour en assommer son adversaire ; il le lance avec furie, le livre vole en l’air et va tomber dans le ruisseau ; l’omnibus qui partait en ce moment passe dessus et en achève la perte ; le bouquiniste hurle, le jeune homme se met à rire, l’homme aux lunettes