Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/24

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Avec un petit rire d’indulgence, comme pour un enfant :

— On n’avait peut-être pas tort, lui dit-elle.

— Mais l’hiver, surtout…

— Oh ! l’hiver, n’est-ce pas ? pour cela je suis bien comme vous, vive le coin du feu ! on y est si bien pour causer !

— J’y restais seul, assis dans un fauteuil, à passer toutes mes soirées ; j’y brûlais un bois considérable.

— Ah ! nous serions bien ensemble. Moi aussi, M. Renaud me gronde souvent pour cela, mais c’est mon bonheur à moi, je ne sors pas, je ne vais pas dans le monde, je suis une pauvre femme bien ignorée, qui vit chez elle retirée.

— Pourquoi cela ? dit Henry, qui, comme vous le voyez, lecteur, se permettait déjà de lui adresser des questions, car ils étaient déjà un peu amis, non pas par ce qu’ils s’étaient dit, mais par le ton dont ils se l’étaient dit.

— Pourquoi ? répondit-elle, mais n’ai-je pas mon mari ? ma maison ? et puis d’ailleurs je n’aime pas le monde, il est si méchant, si bas, si faux !

— Jamais je ne vais au bal non plus, ça m’ennuie, je n’ai jamais dansé de ma vie.

— Ah ! pour cela vous avez tort, il faut savoir danser au moins ! Vous êtes donc un vrai ours ?

Et elle se mit à rire en montrant ses belles dents.

— C’est singulier ! un jeune homme !

Elle acheva avec un ton de voix plus sérieux :

— Ah ! vous changerez plus tard.

— Qui vous l’a dit ?

— Ça viendra, croyez-moi.

— Quand ?

— Si vous vouliez plaire à un… à quelqu’un.

Elle s’arrêta, Henry rougit :

— Vous croyez ? dit-il.

Elle fit deux pas pour s’avancer vers le milieu de la