Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/244

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qui s’ouvre à la vie humant le parfum des genets, étendu sur la mousse comme sur un lit et tressaillant d’ivresse aux tièdes baisers de la brise qui lui passait sur la figure ; ou bien avec Henry, marchant dans l’herbe mouillée, causant de tout, ne regardant rien ; ou encore seul et grave, quand il venait contempler la verdeur de la verdure et la splendeur du jour, pour se pénétrer l’esprit du gazouillement du ruisseau sur les cailloux, du bruit des charrues, du bêlement des chèvres, de la figure des fleurs, des formes des nuages, des teintes décroissantes de la lumière, pour comprendre toute cette harmonie et en étudier les accords.

Tous ces arbres avaient reçu ses regards soit sereins et purs, soit sombres et voilés de larmes ; il avait erré dans tous ces chemins, radieux et dans la plénitude de sa force, ainsi que la poitrine serrée par le chagrin et l’ennui l’enveloppant dans la tourmente.

Or il songeait à ces jours évanouis, plus divers entre eux que les visages de la foule quand on la regarde passer, en les comparant à la nature étalée devant ses yeux ; il s’étonnait de son immobilité sereine et il admirait dans son âme cette grandeur douce et pacifique. Les fleurs croissent dans les fentes des vieux murs ; plus la ruine est ancienne et plus elles la couvrent, mais il n’en est point au milieu des ruines du cœur de l’homme, le printemps ne fleurit pas sur ses débris. Les champs de bataille reverdissent, les coquelicots et les roses poussent autour des tombeaux, qui finissent par se cacher sous la terre et par s’y ensevelir à leur tour ; la pensée n’a pas ce privilège, elle contemple elle-même son éternité et s’en effraye, comme un roi lié sur son trône et qui ne pourrait fuir.

Étrange sensation du sol que l’on foule. On dirait que chacun de nos pas d’autrefois y a laissé une ineffaçable trace, et qu’en revenant sur eux nous mar-