Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/249

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devant les mêmes faits ; la nature se prêtait à ce concert et le monde entier lui apparut reproduisant l’infini et reflétant la face de Dieu ; l’art dessinait toutes ces lignes, chantait tous ces sons, sculptait toutes ces formes, en saisissait leurs proportions respectives, et par des voies inconnues les amenait à cette beauté plus belle que la beauté même, puisqu’elle remonte a l’idéal d’où celle-ci était dérivée, et qui produit en nous l’admiration, qui est la prière de l’intelligence devant la manifestation éclatante de l’intelligence infinie, l’hymne qu’elle lui chante dans sa joie en se reconnaissant de sa nature, et comme l’encens qu’elle lui envoie en gage de son amour.

Il releva la tête, l’air était pur et pénétré du parfum des bruyères ; il le respira largement, et je ne sais quoi de frais et de vivifiant lui entrait dans l’âme ; le ciel sans nuages était blanc comme un voile, le soleil, qui se couchait, n’avait pas de rayons, montrait sa figure lumineuse facile à contempler. Il lui sembla qu’il sortait d’un songe, car il avait la fraîcheur que l’on éprouve au réveil, et la surprise naïve qui nous saisit à revoir des objets qui nous semblent nouveaux, perdu que l’on était tout à l’heure dans un monde qui s’est évanoui. Où était-il donc ? dans quel lieu ? à quelle heure du jour ? qu’avait-il fait ? qu’avait-il pensé ? Il cherchait à se rattraper lui-même et à rentrer dans la réalité d’où il était sorti.

Il entendit quelque chose courir dans l’herbe, il se retourna, et tout à coup un chien s’élança sur lui, en jappant et en lui léchant les mains ; la voix de cette bête était glapissante et traînarde, et sanglotait dans ses hurlements. Elle était maigre, efflanquée comme une louve, elle avait l’air sauvage et malheureux ; toute salie par la boue, sa peau galeuse à certaines places était à peine couverte d’un poil rare et long moitié blanc et noir, et elle boitait d’une jambe de derrière ; ses yeux se fixaient sur Jules avec une curio-