Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/252

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me reconnais-tu ? » et il le flatta. Mais l’impression chaude de cette peau toute nue et rugueuse lui fit retirer sa main de dégoût, et il s’en écarta avec la nausée.

Le chien le suivît encore ; ce n’était pas lui cependant, ce n’était pas lui, celui-ci d’ailleurs était plus petit et sa tache noire sur le dos s’étendait plus en avant. Ah ! l’horrible bête ! un chancre coulait le long de sa cuisse, et ses reins, courbés et bossus, faisaient que sa tête pendait presque à terre et avait l’air d’y déterrer quelque chose ; elle la tournait obliquement en vous regardant, elle boitait bien plus que tout à l’heure, à peine maintenant si elle pouvait marcher, elle sautait plutôt.

Repoussé par sa laideur, Jules s’efforçait de ne pas la voir, mais une attraction invincible attirait ses yeux sur elle, et quand il l’avait bien vue, qu’il s’était assouvi à la regarder, et qu’il commençait à avoir peur, il détournait la tête. Mais aussitôt une voix secrète, puissante, l’appelait vers le monstre, et il y revenait malgré lui.

Une fois il s’arma de courage ; pour en finir d’un seul coup et se débarrasser de cette illusion, il s’avança hardiment contre elle, avec un geste formidable, la bête le regardait toujours ; il fit un pas de plus vers elle, alors sautant péniblement sur ses trois pattes et traînant son hurlement, elle se rapprocha de lui et lui envoya un regard si doux, si doux, qu’il sentit son cœur s’attendrir, malgré la terreur qui l’assiégeait.

Jules reprit sa route ; il tâchait de penser à autre chose, il marchait vite, le chien le suivait, il entendait derrière lui le sautillement pénible et hâté qu’il faisait à chacun de ses pas. Il marcha plus vite encore, la bête le suivait toujours ; il courut, elle se mit à courir ; enfin il s’arrêta et continua d’un pas plus lent. Le vent soufflait, les arbres, à demi dépouillés, inclinaient