Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/260

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pement d’une personnalité féconde, l’expansion d’un sentiment puissant, qui pénètre la nature extérieure, l’anime de sa même vie et la colore de sa teinte. Or il se dit que cette façon toute subjective, si grandiose parfois, pourrait bien être fausse parce qu’elle est monotone, étroite parce qu’elle est incomplète, et il rechercha aussitôt la variété des tons, la multiplicité des lignes et des formes, leur différence de détail, leur harmonie d’ensemble.

Auparavant sa phrase était longue, vague, enflée, surabondante, couverte d’ornements et de ciselures, un peu molle aux deux bouts, et il voulut lui donner une tournure plus libre et plus précise, la rendre plus souple et plus forte. Aussi passait-il alternativement d’une école à une autre, d’un sonnet à un dithyrambe, du dessin sec de Montesquieu, tranchant et luisant comme l’acier, au trait saillant et ferme de Voltaire, pur comme du cristal, taillé en pointe comme un poignard, de la plénitude de Jean-Jacques aux ondulations de Chateaubriand, des cris de l’école moderne aux dignes allures de Louis XIV, des naïvetés libertines de Brantôme aux âpretés théologiques de d’Aubigné, du demi-sourire de Montaigne au rire éclatant de Rabelais.

Il eût souhaité reproduire quelque chose de la sève de la Renaissance, avec le parfum antique que l’on trouve au fond de son goût nouveau dans la prose limpide et sonore du xviie siècle, y joindre la netteté analytique du xviiie, sa profondeur psychologique et sa méthode, sans se priver cependant des acquisitions de l’art moderne et tout en conservant, bien entendu, la poésie de son époque, qu’il sentait d’une autre manière et qu’il élargissait suivant ses besoins.

Il entra donc de tout cœur dans cette grande étude du style ; il observa la naissance de l’idée en même temps que cette forme où elle se fond, leurs développements mystérieux, parallèles et adéquats l’un à