Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/28

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que de coutume. Elle était en cheveux, mais, pour varier un peu, elle avait passé dans les dents du peigne une petite chaîne d’or, qui se cachait dans sa chevelure comme un serpent et dont le gland, qui en terminait un des bouts, lui retombait sur l’oreille.

— Vous êtes aimable, lui dit-elle en entrant, de venir me tenir compagnie.

— Je croyais qu’il y avait déjà du monde, répondit-il sottement.

— Sans cela vous ne seriez pas descendu, repartit Mme Renaud en riant.

— Oh ! ce n’est pas cela que je voulais dire, mais je ne voulais pas arriver le dernier.

— Cela vous intimiderait pour entrer, peut-être ? Est-ce que vous êtes si enfant ?

— Moi, timide ! répondit Henry outragé dans sa dignité d’homme de dix-huit ans, moi, timide ? au contraire, au contraire.

— Cela ne serait pas étonnant, à votre âge.

Et dans ces trois mots « à votre âge » il y avait je ne sais quoi de caressant et d’affectueux.

— Plaignez-moi plutôt, continua-t-elle, plaignez-moi, je vais bien m’ennuyer ce soir. M. Renaud veut recevoir, ça l’amuse. Oh ! nous aurons des gens… insupportables, vous verrez… On est si contraint devant le monde, si peu libre, obligé de surveiller chaque mouvement que l’on fait, de s’observer à chaque mot que l’on dit. Oh ! quel supplice !

Puis continuant, comme se parlant à elle-même :

— Oh ! que j’aime bien mieux la société intime de vrais amis, où l’on peut tout dire, tout penser… Mais il est si rare de rencontrer des personnes dont le cœur réponde au vôtre et qui vous puissent comprendre !

Elle disait cela lentement, étendue sur un gros coussin de velours rouge, les pieds posés sur les chenets, d’un ton ennuyé et avec une figure mélancolique.