Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drôle ? ne dois-je pas semer d’agréments mon discours et embellir mon sujet des fleurs de la rhétorique ? Il faut donner de la grâce aux objets les plus disgracieux et anoblir les moins nobles, c’est un précepte qu’on m’a inculqué en sixième ; et d’où vient qu’une métaphore tirée d’une formule physique me serait interdite, quand je vous dirais surtout que c’est la seule que j’aie apprise ? le bon Delisle a bien fait des vers sur la cafetière, et le code civil lui-même a été mis en vers français par un autre monsieur, lequel devait être un excellent homme que j’aurais bien voulu voir.

Elles pleuraient, elles le maudissaient, les femmes qu’Henry abandonnait ; il y mettait cependant d’ordinaire tous les ménagements d’un homme bien élevé, et il les envoyait promener de la façon la plus honnête qu’il pouvait aviser. Ce n’était pas par parti pris ou par insensibilité, mais il les quittait naturellement, quand il commençait à en être las, tout comme il les avait recherchées dès qu’elles lui avaient plu. Était-ce sa faute, vraiment, de ce qu’il n’était pas fait pour endurer au delà de six mois des sermons théologiques sur la grâce, sortis même d’une jolie bouche ? de ce qu’il se fatigua d’un carnaval qui avait duré jusqu’à Pâques ? de même qu’il reconnut, au bout de quinze jours, l’incommodité d’une poitrine dont la maigreur était trop fantastique et les tendresses trop alambiquées ?

Quoi qu’il en soit, la pauvre dévote pensa en mourir, quand elle se vit abandonnée de la croyance où son cœur avait vécu ; l’étonnement de la sauteuse ne fut pas moins grand, quand elle s’aperçut de l’exiguïté de ses moyens pécuniaires et de la faiblesse de son tempérament ; quant à la bas-bleu, elle ajouta cette méprise à la liste déjà nombreuse de ses désillusions, et s’en consola petit à petit en en causant souvent avec un autre.