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OEUVRES DE JEUNESSE.
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Ne sais-tu pas son nom, ses trésors et sa race ?
L’orgueil que dans son sang ont transmis ses aïeux
Comme un sanglant affront repousserait tes vœux.
Je n’ai pas, pour aimer, ce que cherchent les belles,
Pas de chars éclatants, pas de coursiers fidèles,
Pas de fer destructeur qui pende à mon côté ;
Dans mon humble demeure, au fond de la cité,
Pas de vassaux tremblants, qui de dons magnifiques,
Chaque jour, à l’aurore, encombrent mes portiques ;
Un modeste salaire à peine vient parfois
Payer l’âpre labeur dont je porte le poids.
Pourtant, si de l’esprit on comptait la richesse,
Plus qu’un autre j’aurais des droits à sa tendresse,
Et ce rival heureux, insolent devant moi,
S’écarterait confus et pâlirait d’effroi.
Que sont les vains trésors que jette la fortune
Et d’un faste insensé la grandeur importune
Près de ces biens réels qu’un travail assidu
Donne au mortel béni qu’enflamme la vertu !
Fuyant l’éclat des cours et l’air qu’on y respire,
Nul remords ne me trouble en mon modeste empire,
Et des infortunés les vœux reconnaissants
Sont ma félicité, ma gloire, et mon encens.
Mais… de ma déité la suivante assidue,
Bonheur inespéré ! se présente à ma vue.
Oserai-je, en son sein confiant mon amour,
Du mal qui me poursuit lui parler sans détour ?

Ismène paraît.

Scène II.

Ismène.

Vous encore au palais, seigneur ?… Votre présence…

Jenner.

Je ne puis de ces lieux prolonger mon absence,
Et du noble Gonnor l’état désespérant
Exige, de ma part, un soin persévérant.

Ismène.

Pensez-vous maintenant que cette maladie
Puisse, en nous frappant tous, attenter à la vie ?