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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/369

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NOTE

Nous empruntons aux Souvenirs littéraires de Maxime Du Camp (Hachette, éd.) la notice suivante :

Dans les tragédies les plus sombres, Flaubert ne voyait que le burlesque ; la phraséologie prétentieuse et violente des Scythes ou de Denys le Tyran le mettait en joie ; il déclara, — il décréta, — que nous allions faire une tragédie selon les règles, avec les trois unités, et où les choses ne seraient jamais appelées par leur nom.

Ce fut lui qui trouva le sujet : Jenner ou la Découverte de la vaccine. La scène se passe dans le palais de Gonnor, prince des Angles ; le théâtre représente un péristyle orné de la dépouille des Calédoniens vaincus. Un carabin, élève de Jenner et jaloux de son maître, figure le personnage philosophique de la pièce. Matérialiste et athée, nourri des doctrines d’Holbach, d’Helvétius et de Lamettrie, il prévoit la Révolution française et prédit l’avénement de Louis-Philippe. La petite vérole, personnifiée dans un monstre, apparaît en songe à la jeune princesse, fille du vertueux Gonnor. Nous nous étions engoués de cette drôlerie. Bouilhet venait tous les soirs, et souvent nous passions la nuit au travail. Flaubert tenait la plume et écrivait. Il a cru, de bonne foi, avoir fait une partie des vers dont se compose le premier acte, qui seul a été mené à bonne fin ; il s’est trompé. Il n’a jamais su ni pu faire un vers ; la métrique lui échappait et la rime lui était inconnue. Lorsqu’il récitait des vers alexandrins, il leur donnait onze ou treize pieds, rarement douze. Son oreille était si extraordinairement fausse, qu’il n’est jamais parvenu à retenir un air, fût-ce une berceuse. Bouilhet disait : « Il y a une malédiction sur lui ; c’est un poète lyrique qui ne peut pas faire un vers. »

Dans notre tragédie burlesque, les vers, bien frappés, comiques, ayant l’apparence classique, sont de Bouilhet. L’expression propre n’est jamais employée, car elle est contraire aux canons ; on ne parle que par métaphores, et quelles métaphores !

Nous nous excitions mutuellement, et, sous prétexte que tout peut se dire en beau langage, nous en arrivâmes à pousser si violemment le comique, qu’il tomba dans la grossièreté et que notre parodie devint une farce que Caragheuz seul aurait osé jouer.


fin des œuvres de jeunesse