Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/63

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Elle cacha sa tête dans ses mains, puis avec son sourire et passant ses bras autour du cou d’Henry :

— Il n’est pas comme toi, va ! il n’est pas jeune, ni beau, ni grand ; il n’a ni ta belle âme, ni tes traits si fins.

C’était un charmant spectacle, en effet, que cet ardent jeune homme, avec sa figure douce égarée et tout son corps en désordre.

— Non, c’est toi qui es belle, disait-il, je mourrai en contemplant tes sourcils, et tout supplice me serait doux tant que tes yeux seraient fixés sur les miens.

Et il en restait là, béant et affamé devant ce mets qui fumait pour lui seul ; elle lui parlait de ses devoirs d’épouse et de la chasteté de son amour, tout en repoussant faiblement ses étreintes timides ; il était pusillanime comme une vierge et enflammé comme un homme ivre, l’amour quelquefois est si fort qu’il touche à l’innocence et en a toutes les allures.

— Sois prudent, enfant, observe-toi, il faudra nous cacher au monde — le monde est jaloux et méchant — te méfier de tous. Si notre bonheur était connu, il n’existerait plus pour nous… Prends garde de rien laisser paraître, nous vivrons ainsi heureux, réunis par le cœur au milieu de tous ces gens égoïstes ou stupides ; la vie nous sera plus douce, supportée à deux… Adieu, pense à moi, il faut te quitter, il y a longtemps que je suis là.

Et elle sortit.

Henry comprit bien qu’il venait de faire une faute, il s’en voulut et s’en gronda vertement, puis il s’en loua et s’en estima davantage, tournant sa timidité en vertu et sa sottise en délicatesse, comme cela arrive toujours.

Qu’importe ? la nuit qu’il passa ensuite, pour être veuve de voluptés charnelles, n’en fut pas moins belle et enviable. Adorable bêtise de l’amour ! il ne se coucha que vers deux heures du matin, après avoir