Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/93

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marchait en tête, à côté de Ternande, Mme Renaud entre moi et le jeune homme.

— Et qu’est-il arrivé ? parlez ! a-t-on tué ces messieurs ? a-t-on violé ces dames ? et vous-même êtes-vous tombé dans un puits ? vous êtes-vous noyé dans la rivière, que vous voilà si mouillé ?

— Non, il a plu.

— Si les autres ont partagé votre sort !

— Pas du tout.

Et il se mit à lui raconter enfin toutes ses déceptions de la journée, événements ridicules, événements cruels ; d’abord un de ses sous-pieds s’était cassé et son pantalon lui était remonté jusqu’au jarret, Mme Émilie avait ri ; sa cravache s’était brisée et il avait été obligé de suivre les autres par derrière, bien loin ; Ternande avait galopé à merveille et sauté une barrière, elle l’avait admiré ; il avait voulu en faire autant et son cheval était tombé sur les genoux ; la fatalité l’avait poursuivi jusqu’au bout, tout le monde était déjà à Madrid qu’à peine si sa rosse était à la porte Chaillot ; là, la pluie avait commencé, et jamais dalle ni pavé rincé à grands seaux d’eau ne fut plus lavé que lui ; toute la société eut bien du mal à ne pas éclater de rire quand on le vit arriver, ruisselant, lui et sa bête, avec les vêtements collés au corps, les gants déteints, les bords de son chapeau tombés sur ses yeux. Mme Renaud ne lui dit rien, elle se pinça seulement les lèvres, comme les autres ; Ternande sifflotait, Mendès causait tout bas, dans un coin, avec Mme Dubois ; Alvarès et Mlle Aglaé étaient en tête à tête.

On lui dit de s’approcher de la cheminée et de se chauffer ; au bout de trois minutes il s’en écarta, encore gelé jusque dans les entrailles et avec la mort dans l’âme, mais disant qu’il était déjà séché, que ce n’était rien, affectant de rire. À demi couchée sur un grand canapé, un coussin sous le bras, et du bout de sa cravache époussetant le bas de sa robe d’ama-