Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/13

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le faire exiler tous par l’empereur, ou plutôt les battre, les écraser, les voir souffrir ! Je souffre bien, moi !

Il s’appuie en défaillant contre sa cabane.

C’est d’avoir trop jeûné ! mes forces s’en vont. Si je mangeais… une fois seulement, un morceau de viande.

Il entreferme les yeux avec langueur.

Ah ! de la chair rouge… une grappe de raisin qu’on mord !… du lait caillé qui tremble sur un plat !…

Mais qu’ai-je donc !… Qu’ai-je donc !… Je sens mon cœur grossir comme la mer, quand elle se gonfle avant l’orage. Une mollesse infinie m’accable, et l’air chaud me semble rouler le parfum d’une chevelure. Aucune femme n’est venue, cependant ?…

Il se tourne vers le petit chemin entre les roches.

C’est par là qu’elles arrivent, balancées dans leurs litières aux bras noirs des eunuques. Elles descendent, et joignant leurs mains chargées d’anneaux, elles s’agenouillent. Elles me racontent leurs inquiétudes. Le besoin d’une volupté surhumaine les torture ; elles voudraient mourir, elles ont vu dans leurs songes des dieux qui les appelaient ; — et le bas de leur robe tombe sur mes pieds. Je les repousse. « Oh ! non, disent-elles, pas encore ! Que dois-je faire ! » Toutes les pénitences leur seraient bonnes. Elles demandent les plus rudes, à partager la mienne, à vivre avec moi.