Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/198

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qui accouchent, d’autres copulent, ou d’une seule bouchée s’entre-dévorent.
S’étouffant sous leur nombre, se multipliant par leur contact, ils grimpent les uns sur les autres ; — et tous remuent autour d’Antoine avec un balancement régulier, comme si le sol était le pont d’un navire. Il sent contre ses mollets la traînée des limaces, sur ses mains le froid des vipères ; et des araignées filant leur toile l’enferment dans leur réseau.
Mais le cercle des monstres s’entr’ouvre, le ciel tout à coup devient bleu, et
la licorne
se présente.

Au galop ! au galop !

J’ai des sabots d’ivoire, des dents d’acier, la tête couleur de pourpre, le corps couleur de neige, et la corne de mon front porte les bariolures de l’arc-en-ciel.

Je voyage de la Chaldée au désert tartare, sur les bords du Gange et dans la Mésopotamie. Je dépasse les autruches. Je cours si vite que je traîne le vent. Je frotte mon dos contre les palmiers. Je me roule dans les bambous. D’un bond je saute les fleuves. Des colombes volent au-dessus de moi. Une vierge seule peut me brider.

Au galop ! au galop !

Antoine la regarde s’enfuir.
Et ses yeux restant levés, il aperçoit tous les oiseaux qui se nourrissent de vent : le Gouith, l’Ahuti, l’Alphalim, le Iukneth des montagnes de Caff, les Homaï des Arabes qui sont les âmes d’hommes assassinés. Il entend les perroquets proférer des paroles humaines, puis les grands palmipèdes pélasgiens qui sanglotent