Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/241

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gras ou maigre ? Aux pieds du Très-Haut les brins d’herbe et les cèdres sont de taille pareille ; où donc est le mérite de ta vertu et la grandeur de ta bassesse ?

antoine.

Mais la loi cependant…

la logique.

La loi ? ce sont les Juifs qui disent la loi, les Sadducéens qui la prêchent et les Pharisiens qui la vendent. Jésus n’est-il point venu la détruire ? Ne s’appelait-il pas l’Épée ? les docteurs, quand il parlait, élevaient de grands cris et faisaient voler de la poussière avec leurs manteaux. Est-ce la loi qui a nourri les multitudes, apaisé les flots furieux et flamboyé sur le Thabor ? La loi ! les prophètes ont été égorgés en son nom, elle a crucifié Jésus, lapidé saint Étienne, Pierre est mort par elle, et Paul aussi, tous les martyrs ! La loi ! c’est la malédiction du serpent, dont le Christ est venu racheter les hommes ; elle avait bâti le Temple et repoussé les Gentils, la Grâce a renversé le Temple et appelé les nations ; enfermée jadis en Israël, l’âme libre maintenant peut se dilater dans sa grandeur. Qu’elle ouvre sa fenêtre, qu’elle respire tous les vents, qu’elle s’envole au midi, au septentrion, au couchant, à l’aurore, car Samarie n’est plus maudite et Babylone elle-même a été relevée de sa tristesse.

antoine.

Oh ! Seigneur ! Seigneur ! Je sens surgir en moi comme une inondation qui monte.

la logique.

Qu’elle monte ! elle te lave.

Silence.
antoine
mettant les deux mains sur son front comme pour ressaisir ses idées.

La loi ? Eh bien, oui !… Voyons cependant : le Fils a été envoyé par le Père pour…

la logique.

Pourquoi pas le Père par le Fils ?

antoine.

Il devait venir après.