Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/288

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Il se frotte les mains d’un air de satisfaction.

Je vais en profiter aussi moi, ce sera ça de gagné.

apollonius.

Avant de t’ouvrir la Doctrine, je t’exposerai ce que j’ai fait pour l’acquérir, et si tu trouves dans toute ma vie une seule action mauvaise, je m’arrêterai aussitôt, car celui-là doit scandaliser par ses pensées, qui a méfait par ses œuvres.

damis
à Antoine.

Vous voyez quel homme juste ça fait !

antoine
à part.

Décidément je crois qu’il est sincère !

apollonius.

Écoute donc ! Et toi, Damis, écoute aussi ! je vais dire ce que tu ne sais pas, le ciel ayant voulu que ce fût aujourd’hui que je révélasse ces choses :

antoine
à part.

Il n’est pas, du moins, comme les philosophes d’à présent, il croit à la Providence.

apollonius.

La nuit de ma naissance, ma mère rêvait qu’elle cueillait des fleurs dans une prairie, et elle accoucha de moi, à la voix des cygnes qui chantaient dans son rêve. Alors il y eut un éclair et j’ouvris les yeux.

Jusqu’à quinze ans, on m’a plongé trois fois par jour dans la fontaine Asbadée, dont l’eau rend les parjures hydropiques, et l’on me frottait le corps avec les feuilles du cnyza, pour me faire chaste dès ma jeunesse.

C’est à cet âge que je commençai à laisser croître mes cheveux, à ne porter que des étoffes de lin, à fréquenter les prêtres et à coucher dans les temples, si bien que lorsqu’on rencontrait quelqu’un qui marchait vite, on avait coutume de dire : Où courez-vous donc ? allez-vous voir le jeune homme ?