Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/291

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antoine.

La drôle d’histoire !

apollonius.

Le satrape me demanda pourquoi j’étais venu dans le royaume du Roi : « Je suis libre comme l’oiseau, lui répondis-je, et vaste comme l’air ! »

damis.

Alors il nous laissa partir et nous donna même des provisions. N’est-ce pas le lendemain, maître, que nous rencontrâmes dans un bois cette lionne énorme qui avait huit petits dans le ventre ? Alors vous dites aussitôt : « Notre séjour auprès du Roi sera d’un an et huit mois » ; je n’ai jamais pu me rendre compte comment vous avez deviné si juste.

antoine
réfléchissant.

Voilà une perspicacité fort merveilleuse !

apollonius.

La première fois que nous couchâmes dans le pays de Cissie, je vis en dormant des poissons qui palpitaient sur un rivage ; ils semblaient se plaindre d’une manière humaine et se lamentaient comme des exilés. Devant eux, dans les flots, un grand dauphin nageait ; ils s’efforçaient d’aller vers lui et traînaient dns le sable leurs nageoires alourdies ; le dauphin cependant s’avançait à leur rencontre, battant la mer avec sa queue, et soufflant l’eau par ses narines.

damis.

Oh ! que j’ai eu peur, quand vous m’avez raconté ce rêve-là !

apollonius.

Les poissons, c’étaient les Érithriens, transportés dans le pays de Cissie par Darius ; le dauphin, c’était moi qui devais les secourir.

J’allai chez eux, je relevai leurs tombeaux.

damis.

Et vous pleuriez ! vous pleuriez !… je ne sais pas pourquoi,