Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/351

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ma porte entre-bâillée j’ai entrevu ta figure, et le grincement de tes dents m’a troublé dans mon travail ; va-t’en ! Mais pour t’aider, que désires-tu ? est-ce du poison pour tuer ceux qui te gênent, ou de la rhétorique pour dénigrer ceux que tu admires ? Laisse-moi.

la colère.

Veux-tu venir avec moi ?

la science.

Non ! je suis fatiguée de suivre ta traînée sanglante, de passer au tamis la poussière que tu fais, et d’employer ma vie à lire ta longue histoire. J’ai remué la cendre de tes incendies, et c’est à moi que tu t’adresses pour forger ton épée et pour monter tes machines de guerre ; de temps à autre, dans mes rages patientes, tu me soutiendras quelquefois, mais ne frappe plus du poing sur ma table, car plus mélancoliquement ensuite je ramasse mon livre tombé.

la paresse.

Arrête ! repose-toi !

la science.

Dis au sang qui bat, aux astres qui tournent, d’interrompre leur mouvement. Le puis-je davantage, moi qui suis faite pour compter les pulsations de l’artère et le nombre des soleils ? Comme les planètes qu’elle observe, ma pensée va d’elle-même accomplissant son irrésistible voyage, et sans savoir où nous allons, nous tournons dans des cercles parallèles.

la luxure.

Veux-tu venir avec moi ?

la science.

J’y ai été, j’en suis revenu. J’ai soulevé ta robe, j’ai entr’ouvert ton cœur, je connais les faux talons qui te grandissent et les séductions qui t’embellissent ; j’ai étudié l’effet de la lumière des lampes coulant comme une onde à travers le duvet de ton blanc épiderme, et j’ai ouvert les narines à la bouffée d’odeur qui montait de tes seins et me chauffait la joue. Je sais les mots qu’il faut dire, les attractions qui t’appellent, tous les chemins qui mènent à toi, ce qu’on y trouve, ce qui en repousse. N’ai-je pas occupé ma jeunesse à pêcher dans ton ruisseau ? je t’ai harassée