Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/448

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s’échappent ; l’intérieur de mon être est bouleversé de fond en comble, comme si j’allais vomir à la fois la digestion de mes existences ; des âges arrivent, je grelotte comme dans la fièvre. C’est moi pourtant qui jadis, au sein de la mer immobile, nonchalamment couché sur la feuille large du lotus, avec le disque lumineux à mon oreille, et mon épouse à mes pieds, contemplais en souriant s’élever de mon nombril la tige verte d’où devait éclore le Dieu nouveau.

antoine.

Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

le diable.

écoute-les, il y en a d’autres.

autre dieu
plus grand que tous les autres, magnifique, vêtu de robes étincelantes, porté sur un cygne aux ailes déployées, ayant quatre figures à mentons barbus, toutes pareilles, et tenant dans ses mains un collier où sont suspendus des mondes.

Je suis la terre ! je suis l’eau ! je suis le feu ! je suis l’air ! je suis l’éther, l’intelligence, la conscience, la création, la dissolution, la cause, l’effet ; lumière dans le soleil, invocation dans les livres, profondeur dans la mer, grandeur dans le ciel, force du fort, pureté du pur, sainteté du saint !

Il s’arrête tout essoufflé pour reprendre haleine.

Bon, excellent, très haut, le sacrifice, l’aromate, le prêtre et la victime, celui qui reçoit, celui qui donne, le protecteur, le réconforteur, le créateur !

Il respire encore une fois.

La pluie qui fait du bien, la bouse de vache, le fil du collier, toutes les perles, l’asile, l’ami, la place où les choses doivent être, la semence inépuisable, éternelle, toujours renouvelée ! Sorti à la fin de l’œuf d’or comme le fœtus de la membrane, je…

Il disparaît sans avoir le temps d’achever sa phrase.
un dieu noir
portant un œil sur le front, un lotus ouvert suspendu à son cou, et le triangle sous la plante des pieds ; il a l’air triste, il se prend la tête dans les mains en pleurant.

Comment faire ? que faire ? j’ai beau rêver ; multiplier les formes