j’ai parcouru les Gaules, j’ai été jusqu’à Gadès, j’ai vu la Scythie, j’ai traversé le désert où l’on a soif.
Je valais des armées ! le pont des navires s’enfonçait sous moi tant j’étais lourd !
Partout j’exterminais les monstres et punissais les méchants ; j’allais tout nu, seul ; les pays esclaves, je les délivrais ; les pays déserts, je les peuplais. En une nuit j’ai engrossé les cinquante filles de Thespie, et quand j’ai quitté le royaume des Indes, j’ai rendu nubile ma fille Pandala âgée de sept ans, afin de coucher avec elle pour qu’elle me mît au monde un invincible fils, qui fût le père de tous les monarques d’au delà du Gange.
Mais plus s’accumulaient les ans, plus s’augmentait ma force ; je tuais mes amis en jouant avec eux, je rompais les sièges en m’asseyant dessus, je démolissais les temples en passant sous leurs portiques, et ma chair se durcissait, mon poil s’épaississait ; j’avais en moi une fureur continuelle qui, bruissant à gros bouillons comme le vin d’automne qui fait sauter la bonde des cuves, débordait de ma vertu et m’élançait en avant.
Je criais tout à coup, je courais, je me roulais, je déracinais les arbres, je troublais les fleuves ; je sentais dans mon crâne bondir ma cervelle, l’écume sifflait au coin de ma lèvre, je souffrais à l’estomac et je me tordais dans la solitude en appelant quelqu’un.
Ma force m’étouffe, c’est le sang qui me gêne, je suis trop gros, j’ai besoin de bains tièdes et qu’on me donne à boire de l’eau glacée ; je veux m’asseoir enfin sur des coussins, dormir pendant le jour et voir danser des femmes ; je veux me faire faire la barbe et nettoyer mes ongles. Aux pieds de la reine Omphale je resterai sans rien faire ; elle se couchera sur ma peau de lion, moi je passerai sa robe et je filerai sa quenouille, j’assortirai les laines, j’aurai les mains blanches comme une fille ; nous vivrons tranquilles dans un palais fermé… Je sens des langueurs… mon corps se détend… donnez-moi donc… donnez-moi…
Passe ! passe !