Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/514

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qu’elles approchent, une des ombres précédentes apparaît dans sa forme particulière et se mêle à leurs groupes.
C’est d’abord : la Luxure, rouge de cheveux, blanche de peau, très grasse, vêtue d’une robe jaune rehaussée de perles et de diamants. Elle est aveugle. De ses doigts chargés d’émeraudes, elle relève sa robe doucement, jusqu’à la hauteur des chevilles.
La Gourmandise a le cou maigre, les lèvres violettes, le nez bleu. Ses dents pourries retombent sur son menton, et sa tunique tachée de graisse et de vin laisse déborder son ventre, qui lui couvre les cuisses.
La Colère est cuirassée d’airain, ruisselle de sang ; des flammes jaillissent de son casque fermé ; deux boules de plomb terminent ses bras.
L’Envie, aux oreilles énormes, se pince les lèvres, se ronge les ongles, s’égratigne le visage, se couche derrière tous les péchés, se vautre sur le sol et leur mord le talon.
L’Avarice, vieille femme en haillons recousus, agite continuellement dans l’air sa main droite qui a dix doigts, et de la gauche elle retient des pièces d’argent dans ses poches trop pleines.
La Paresse, sans pieds ni bras, se traîne péniblement sur le ventre et soupire.
Toutes les Hérésies maintenant sont confondues. Les Péchés, plus grands qu’elles, les poussent par derrière.
Des nuages bruns roulent sur la lune, elle apparaît çà et là entre leurs déchirures et illumine la scène d’un reflet verdâtre.
les hérésies
augmentent, entourent la cabane, vont jusqu’au seuil de la chapelle ; elles disent en adoucissant leurs voix :

Pourquoi trembler, bon ermite ? Nous sommes les pensées mêmes avec qui tu causais tout à l’heure : ne crains rien, bon saint Antoine, ne crains rien !

antoine.

Oh ! comme il y en a ! J’ai peur !

les patricianistes.

Peur de la chair, n’est-ce pas ? Elle est mauvaise.

antoine.

Oui !