Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/625

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Dieu, principe et but, j’étais infinie pour lui, et son Olympe ne dépassait point la hauteur de mes montagnes.

Il a grandi, ô Uranus ! et, comme tu faisais autrefois des Cyclopes mes fils, que tu emprisonnais dans mes entrailles, maintenant il creuse mes pierres pour y placer ses rêves et marquer plus de désespoir.

saturne
l’air farouche, la poitrine et les bras nus, la tête à demi couverte par son manteau et tenant à sa main sa harpe recourbée.

De mon temps, le regard de l’homme était pacifique comme celui des bœufs. Il riait d’un gros rire et dormait d’un sommeil lourd.

Contre le mur d’argile, sous le toit de branchage, le porc se fumait lentement au feu clair des feuilles sèches, ramassées quand arrivent les grues. La marmite bouillait pleine de mauves et d’asphodèles. L’enfant inepte croissait près de sa mère. Sans chemins et sans désirs, les familles isolées vivaient en paix dans des campagnes profondes, le laboureur ne sachant pas qu’il y eût des mers, ni le pêcheur des plaines, ni l’observateur des rites d’autres dieux.

Mais, quand fleurissait le chardon pointu et que la cigale ouvrait ses ailes dans les blés jaunes, on tirait du grenier les gâteaux de fromages, on buvait du vin noir, on s’asseyait sous les frênes. Les cœurs chauffés par Sirius battaient plus fort, le seuil des cabanes exhalait l’odeur du bouc, et la fille rustique clignait des yeux, en passant près des buissons.

Âge qui ne reviendra plus, alors qu’attachée tout entière à la réalité du sol, la vie humaine, ainsi que l’ombre d’un cadran, faisait sans jamais dévier le tour de ce point fixe !

Puisque j’avais détrôné Uranus, pourquoi donc Jupiter est-il venu ?…

rhéa.

C’est moi qui t’ai trompé, dieu dévorateur !

Je me rongeais de tristesse à produire continuellement pour une irrassasiable destruction. Ah ! que j’ai ri, quand je t’ai vu avaler la pierre emmaillotée sous ses bandelettes ! mais tu ne t’apercevais de rien ! tu dévorais tout !

La Mort fait claquer son fouet.
saturne
se drape dans son manteau.

Ah ! retournons dans l’Érèbe, ô ma vieille épouse ! Le temps