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NOTES
sont abandonnées et Flaubert va appliquer à cette 3e version, toute différente des autres, le dogme de l’impersonnalité dans l’art ; il emploie les procédés de travail longs et pénibles employés pour Madame Bovary et l’Éducation sentimentale, et comme le saint Antoine de 1849 avait été lui-même, il évite cette fois d’émettre ses goûts, ses rêves, et de se suppléer à ses personnages. Les notes prises au cours des lectures abondent ; les ébauches et les esquisses couvrent 1,238 feuillets, souvent écrits au recto et au verso. Au mois de juillet 1870, surmontant l’immense chagrin que lui cause la mort de Louis Bouilhet, il commence à écrire, et non sans verve, quand arrivent les premiers bruits de guerre. Puis vient la déroute, et au milieu des pires angoisses, Flaubert écrit à George Sand : « Je ne suis plus triste. J’ai repris hier mon Saint Antoine. Tant pis, il faut s’y faire ! » Cependant Croisset est envahi par les Prussiens, et Flaubert et sa famille se sont réfugiés à Rouen ou ils restent près de deux mois. Le 31 mars 1871, Flaubert rentre à Croisset et retrouve intacte la caisse qu’il avait cachée contenant les papiers de Saint Antoine : « Demain, enfin, je me résigne à rentrer dans Croisset. C’est dur, mais il le faut. Je vais tâcher de reprendre mon pauvre Saint Antoine et d’oublier la France. » Et en effet, il travaille pour s’éloigner des horreurs de la Commune, il l’annonce ainsi de nouveau à George Sand : « Pour ne plus songer aux misères publiques et aux miennes, je me suis replongé avec furie dans Saint Antoine et si rien ne me dérange et que je continue de ce train-là, je l’aurai fini l’hiver prochain. » (Correspondance, IV, p. 59.) Il vient passer à Paris les mois de juillet et d’août qu’il emploie à rassembler des documents sur l’histoire des religions de la Perse et sur toute la partie mythologique de son livre. L’écriture de ces pages lui a rappelé les instants d’autrefois, où il écrivait en pleine liberté d’inspiration : « Je me suis jeté en furieux dans Saint Antoine et je suis arrivé à jouir d’une exaltation effrayante. Voilà un mois que mes plus longues nuits ne dépassent pas cinq heures. Jamais je n’ai eu le bourrichon plus monté. » (Lettre à Mme  Roger des Genettes, voir Correspondance, IV, p. 83.)

Cependant il sacrifiera ces heures de joie suprême à l’hommage qu’il veut rendre à la mémoire de Louis Bouilhet, et le voici à Paris s’occupant de son tombeau, de son monument (voir lettre au Conseil municipal), de la préface des Dernières Chansons et de la représentation de Aïssé. Il n’écrit plus Saint Antoine, mais il en poursuit la documentation par des lectures de Kant et de Spinoza. Il écrit à George Sand qu’il « s’amuse à feuilleter des belluaires du moyen âge », à chercher dans les auteurs tout ce qu’il y a de plus baroque comme animaux. « Je suis au milieu des monstres fantastiques. Quand j’aurai à peu près épuisé la matière, j’irai au Muséum, rêvasser devant les monstres réels et puis mes recherches