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Page:Gustave Toudouze - Péri en mer, 1905.pdf/79

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Elle poussa une sorte de hurlement :

— Ho ! ho !… mon petit frère !… Jean-Marie-Hervé, ho !…

Le naufragé porta les deux mains à sa figure, le cœur sautant dans la poitrine, oppressé par une horrible angoisse, et murmura :

— Est-ce que ?… Oh ! mon Dieu ! Ces yeux luisants, cette insensibilité !… Elle ne m’entend pas !… Elle ne me voit pas !…

Yvonne posa ses doigts sur la rude main :

— Chut ! ne dis rien !… Une nuit il est venu me voir ; il était vêtu comme sur son portrait, avec le grand col bleu, tu sais, un joli, si joli petit mousse !… J’ai bien compris que c’était lui, va !… Il m’a parlé doux, d’une voix d’oiseau ; puis il est parti en faisant un geste de la main : « Au revoir ! au revoir !… » Tu vois, c’est qu’il reviendra !… Ah ! ah ! ah ! ah ! Qu’il était drôle, et gai ! gai… Ah ! ah ! ah ! ah !… C’est à mourir de rire !…

Un rire à donner le frisson, un rire qui fit perler des gouttes de sueur à la racine des cheveux d’Hervé ; il s’écria, épouvanté :

— Elle est folle !

Autour, la nuit tombait ; c’était comme une succession ininterrompue de voiles de deuil s’épaississant toujours, venant du large s’ajouter les uns aux autres pour ensevelir sous les mêmes ténèbres l’Océan et la Terre ; les bruits de la vague, bien qu’un peu apaisés, restaient rauques,