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Page:Gustave Toudouze - Péri en mer, 1905.pdf/85

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Immédiatement Pierre Guivarcʼh réclama son neveu ; désormais il lui appartenait, rentrait dans la famille :

— Tante Rosalie, ce naufragé-là est pour moi !

Il l’emmena, tout remué de ce grand gaillard accroché à son bras, de cette vivante image de son frère, qui lui revenait de si loin, après tant d’années, pour ainsi dire d’au-delà de la tombe.

L’impression qu’il en ressentait était fort étrange, un peu complexe, inexplicable pour son cerveau resté naïf malgré l’âge et encore facile aux pensées superstitieuses. Peut-être, s’il avait eu une intelligence plus développée, s’il avait possédé cette faculté d’analyse sur soi-même que finissent par acquérir certains êtres cultivés, eût-il cherché à établir quelque corrélation magnétique entre son réveil vers la fin de la nuit, vers l’heure de la catastrophe, l’instantanéité avec laquelle son souvenir s’était alors porté sur ceux des siens qui n’étaient plus, et cette sorte de miracle du neveu tout à coup sauvé d’un nouveau naufrage, presque au port, à quelques milles de la patrie.

Mais, tombant sur lui sans explication possible, le fait le troublait. Il ne se sentait pas très à l’aise, doutant encore de ce prodigieux événement, voyant danser devant ses yeux la croix blanche du cimetière, la photographie surmontée d’un rameau de buis, et marmonnant en lui-même les inoubliables mots :