Page:Guy de Maupassant - Clair de lune.djvu/40

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Une porte de côté s’ouvrit, un domestique entra, tenant sur un plateau une lettre pressée qu’un commissionnaire venait d’apporter. Jacques prit en tremblant ce papier, saisi d’une peur vague et soudaine, la peur mystérieuse des brusques malheurs.

Il regarda longtemps l’enveloppe dont il ne connaissait point l’écriture, n’osant pas l’ouvrir, désirant follement ne pas lire, ne pas savoir, mettre en poche cela, et se dire : « À demain. Demain, je serai loin, peu m’importe ! » Mais, sur un coin, deux grands mots soulignés : très urgent, le retenaient et l’épouvantaient. Il demanda : « Vous permettez, mon amie ? » déchira la feuille collée et lut. Il lut le papier, pâlissant affreusement, le parcourut d’un coup et, lentement, sembla l’épeler.

Quand il releva la tête, toute sa face était bouleversée. Il balbutia : « Ma chère petite, c’est… c’est mon meilleur ami à qui il arrive un grand, un très grand malheur. Il a besoin de moi tout de suite… tout de suite… pour une affaire de vie ou de mort. Me permettez-vous de m’absenter vingt minutes ? je reviens aussitôt. »

Elle bégaya, tremblante, effarée : « Allez, mon ami ! » n’étant pas encore assez sa femme pour oser l’interroger, pour exiger savoir. Et il disparut. Elle resta seule, écoutant danser dans le salon voisin.

Il avait pris un chapeau, le premier trouvé, un pardessus quelconque, et il descendit en courant l’escalier. Au moment de sauter dans la rue, il s’arrêta encore sous le bec de gaz du vestibule et relut la lettre.

Voici ce qu’elle disait :

« Monsieur,

« Une fille Ravet, votre ancienne maîtresse, paraît-il, vient d’accoucher d’un enfant qu’elle prétend être à vous. La mère va mourir et implore votre visite. Je prends la liberté de vous écrire et de vous demander si vous pouvez accorder ce dernier entretien à cette femme, qui semble être très malheureuse et digne de pitié.

« Votre serviteur,
« Dr  Bonnard. »