Page:Guy de Maupassant - Clair de lune.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il voulait ; je lui écrivis même des billets doux que lisaient nos mères ; et il me répondait des lettres, des lettres de feu, que j’ai gardées. Il croyait secrète notre intimité d’amour, se jugeant un homme. Nous avions oublié qu’il était un Santèze !

« Cela dura près d’un an. Un soir, dans le parc, il s’abattit à mes genoux et, baisant le bas de ma robe avec un élan furieux, il répétait : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime à en mourir. Si tu me trompes jamais, entends-tu, si tu m’abandonnes pour un autre, je ferai comme mon père… » Et il ajouta d’une voix profonde à donner un frisson : « Tu sais ce qu’il a fait ! »

« Puis, comme je restais interdite, il se releva, et se dressant sur la pointe des pieds pour arriver à mon oreille, car j’étais bien plus grande que lui, il modula mon nom, mon petit nom : « Geneviève ! » d’un ton si doux, si joli, si tendre, que j’en frissonnai jusqu’aux pieds.

« Je balbutiais : « Rentrons, rentrons ! » Il ne dit plus rien et me suivit ; mais, comme nous allions gravir les marches du perron, il m’arrêta : « Tu sais, si tu m’abandonnes, je me tue. »

« Je compris, cette fois, que j’avais été trop loin, et je devins réservée. Comme il m’en faisait, un jour, des reproches, je répondis : « Tu es maintenant trop grand pour plaisanter, et trop jeune pour un amour sérieux. J’attends. »

« Je m’en croyais quitte ainsi.

« On le mit en pension à l’automne. Quand il revint, l’été suivant, j’avais un fiancé. Il comprit tout de suite et garda pendant huit jours un air si réfléchi que je demeurais très inquiète.

« Le neuvième jour, au matin, j’aperçus, en me levant, un petit papier glissé sous ma porte. Je le saisis, je l’ouvris, je lus : « Tu m’as abandonné ; et tu sais ce que je t’ai dit. C’est ma mort que tu as ordonnée. Comme je ne veux pas être trouvé par un autre que par toi, viens dans le parc, juste à la place où je t’ai dit, l’an dernier, que je t’aimais, et regarde en l’air. »

« Je me sentais devenir folle. Je m’habillai vite et vite, et je courus, je courus à tomber épuisée, jusqu’à l’endroit désigné.