Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/15

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elle le regarda, ne pouvant croire à la réalité de cette délivrance, avec un sentiment profond de joie comprimée et une peur affreuse de le laisser voir.

D’une nature indépendante, gaie, même exubérante, très souple et séduisante, avec des saillies d’esprit libre, semées on ne sait comment dans les intelligences de certaines petites fillettes de Paris qui semblent avoir respiré dès l’enfance le souffle poivré des boulevards, où se mêlent chaque soir, par les portes ouvertes des théâtres, les courants d’air des pièces applaudies ou sifflées, elle garda cependant de son esclavage de cinq années une timidité singulière mêlée à ses hardiesses anciennes, une peur grande de trop dire, de trop faire, avec une envie ardente d’émancipation et une énergique résolution de ne plus jamais compromettre sa liberté.

Son mari, homme du monde, l’avait dressée à recevoir, comme une esclave muette, élégante, polie et préparée. Parmi les amis de ce despote étaient beaucoup d’artistes, qu’elle avait accueillis avec curiosité, écoutés avec plaisir, sans jamais oser leur laisser voir comment elle les comprenait et les appréciait.

Son deuil fini, elle en invita quelques-uns à dîner, un soir. Deux s’excusèrent, trois acceptèrent et trouvèrent avec étonnement une jeune femme d’âme ouverte et d’allures charmantes, qui les mit à l’aise et leur dit avec grâce le plaisir qu’ils lui avaient fait en venant chez elle autrefois.