Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/265

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ne pouvait subvenir aux besoins de deux personnes. Lasse à son tour de sa besogne solitaire, elle entra comme bonne dans un bouillon, y resta près d’un an, et comme elle se sentait fatiguée, le fondateur de l’hôtel Corot, à Marlotte, ayant été servi par elle, l’engagea pour l’été avec deux autres jeunes personnes qui viendraient un peu plus tard. Ce patron assurément savait attirer la clientèle.

Cette histoire plut à Mariolle, qui fit dire à la jeune fille, en l’interrogeant avec adresse et en la traitant comme une demoiselle, beaucoup de détails curieux sur ce sombre et pauvre intérieur ruiné par un ivrogne. Elle, être perdu, errant, sans liens, gaie quand même parce qu’elle était jeune, sentant réel l’intérêt de cet inconnu, et vive son attention, parla avec confiance, avec l’expansion de son âme, qu’elle ne pouvait guère plus contenir que l’agilité de ses membres.

Il lui demanda quand elle eut fini :

— Et… vous serez bonne toute votre vie ?

— Je ne sais pas, moi, monsieur. Est-ce que je peux deviner ce qui m’arrivera demain ?

— Pourtant il faut penser à l’avenir.

Elle avait pris un air méditatif, vite effacé sur ses traits, puis elle répondit :

— Je prendrai ce qui me tombera. Tant pis !

Ils se quittèrent bons amis.

Il revint quelques jours plus tard, puis une autre fois, puis souvent, vaguement attiré par la causerie