Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/36

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d’autres où j’ai presque celle d’une cocotte… sans amants.

Il demanda, charmé :

— Croyez-vous que presque toutes les femmes intelligentes soient capables de cette activité de pensée ?

— Oui, dit-elle. Seulement elles s’endorment, et puis elles ont une existence déterminée qui les entraîne d’un côté ou d’un autre.

Il demanda encore :

— Alors au fond c’est la musique que vous préférez à tout ?

— Oui. Mais ce que je vous disais tout à l’heure est si vrai ! Certainement je ne l’aurais pas goûtée comme je la goûte, adorée comme je l’adore, sans cet ange de Massival. Toutes les œuvres des grands, que j’aimais déjà passionnément, eh bien ! il a mis leur âme dedans en me les faisant jouer. Quel dommage qu’il soit marié !

Elle dit ces derniers mots avec un air enjoué, mais de si profond regret qu’ils primaient tout, ses théories sur les femmes et son admiration pour les arts.

Massival, en effet, était marié. Il avait contracté, avant le succès, une de ces unions d’artistes qu’on traîne ensuite jusqu’à sa mort, à travers la gloire.

Il ne parlait jamais de sa femme d’ailleurs, ne la présentait point dans le monde, où il allait beaucoup, et, bien qu’il eût trois enfants, on le savait à peine.