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Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/47

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qualités des hommes ; et elle avait subi des commencements d’entraînement connus d’elle seule, arrêtés au moment où ils auraient pu devenir dangereux.

Chaque débutant apportant la note nouvelle de sa chanson galante et l’inconnu de sa nature, les artistes surtout, en qui elle pressentait des raffinements, des nuances, des délicatesses d’émotion plus aiguës et plus fines, l’avaient plusieurs fois troublée, avaient éveillé en elle le rêve intermittent des grandes amours et des longues liaisons. Mais, en proie aux craintes prudentes, indécise, tourmentée, ombrageuse, elle s’était gardée toujours jusqu’au moment où le dernier amoureux avait cessé de l’émouvoir. Et puis elle possédait des yeux sceptiques de fille moderne qui déshabillaient en quelques semaines les plus grands hommes de leur prestige. Dès qu’ils étaient épris d’elle, et qu’ils abandonnaient, dans le désarroi de leur cœur, leurs poses de représentation et leurs habitudes de parade, elle les voyait tous pareils, pauvres êtres qu’elle dominait de son pouvoir séducteur.

Enfin, pour s’attacher à un homme, une femme comme elle, si parfaite, il aurait fallu qu’il possédât tant de mérites inestimables !

Pourtant elle s’ennuyait beaucoup. Sans amour pour le monde, où elle allait par préjugé, dont elle subissait les longues soirées avec des bâillements retenus dans la gorge et du sommeil dans les paupières, amusée seulement par les marivaudages,