Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/86

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Elle l’avait placé entre elle et sa tante, en lui jetant un très rapide regard, un de ces regards qui ont l’air d’une défaillance. Elle reprit :

— Qu’est-ce que vous pensez de ce pays ?

— Moi, dit-il, je crois que je n’ai jamais rien vu de plus beau.

Alors elle :

— Ah ! si vous y aviez passé quelques jours comme je viens de le faire, vous sentiriez comme il vous pénètre. Il est d’une impression inexprimable. Ces allées et venues de la mer sur les sables, ce grand mouvement qui ne cesse jamais, qui baigne tout ça deux fois par jour, et si vite, qu’un cheval au galop ne pourrait pas fuir devant lui, ce spectacle extraordinaire que le ciel nous donne pour rien, je vous jure que ça me met hors de moi. Je ne me reconnais plus. N’est-ce pas, ma tante ?

Mme Valsaci, une femme déjà vieille, à cheveux gris, distinguée dame de province, épouse estimée d’ingénieur en chef, hautain fonctionnaire impurifiable de la morgue de l’École, avoua que jamais elle n’avait vu sa nièce dans cet état d’enthousiasme. Puis elle ajouta, après réflexion :

— Ça n’est pas étonnant d’ailleurs quand on n’a guère regardé et admiré, comme elle, que des décors de théâtre.

— Mais je vais à Dieppe et à Trouville presque tous les ans.

La vieille dame se mit à rire.