Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/153

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vait plus remuer. Elle sentit qu’on l’emportait, puis qu’on la mettait dans un lit, puis qu’on la frictionnait avec des linges brûlants ; puis tout souvenir s’effaça, toute connaissance disparut.

Puis un cauchemar — était-ce un cauchemar ? — l’obséda. Elle était couchée dans sa chambre. Il faisait jour, mais elle ne pouvait pas se lever. Pourquoi ? elle n’en savait rien. Alors elle entendit un petit bruit sur le plancher, une sorte de grattement, de frôlement, et soudain une souris, une petite souris grise passait vivement sur son drap. Une autre aussitôt la suivait, puis une troisième qui s’avançait vers la poitrine, de son trot vif et menu. Jeanne n’avait pas peur ; mais elle voulut prendre la bête et lança sa main, sans y parvenir.

Alors d’autres souris, dix, vingt, des centaines, des milliers surgirent de tous les côtés. Elles grimpaient aux colonnes, filaient sur les tapisseries, couvraient la couche tout entière. Et bientôt elles pénétrèrent sous les couvertures ; Jeanne les sentait glisser sur sa peau, chatouiller ses jambes, descendre et monter le long de son corps. Elle les voyait venir du pied du lit pour pénétrer dedans contre sa gorge ; et elle se débattait, jetait ses mains en avant pour en saisir une et les refermait toujours vides.

Elle s’exaspérait, voulait fuir, criait, et il lui semblait qu’on la tenait immobile, que des bras vigoureux l’enlaçaient et la paralysaient ; mais elle ne voyait personne.

Elle n’avait point la notion du temps. Cela dut être long, très long.

Puis elle eut un réveil, un réveil las, meurtri, doux