Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/251

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Vrillette où ils devaient dîner avec le comte, ils rencontrèrent le curé d’Étouvent qui sortait du château. Il se rangea pour les laisser passer ; et salua sans qu’ils rencontrassent ses yeux.

Une inquiétude les saisit qui se dissipa bientôt.

Or Jeanne, un après-midi, lisait auprès du feu par un grand coup de vent (c’était au commencement de mai), quand elle aperçut soudain le comte de Fourville qui s’en venait à pied et si vite qu’elle crut un malheur arrivé.

Elle descendit vivement pour le recevoir et, quand elle fut en face de lui, elle le pensa devenu fou. Il était coiffé d’une grosse casquette fourrée qu’il ne portait que chez lui, vêtu de sa blouse de chasse, et si pâle que sa moustache rousse, qui ne tranchait point d’ordinaire sur son teint coloré, semblait une flamme. Et ses yeux étaient hagards, roulaient, comme vides de pensée.

Il balbutia : « Ma femme est ici, n’est-ce pas ? » Jeanne, perdant la tête, répondit : « Mais non, je ne l’ai point vue aujourd’hui. »

Alors il s’assit, comme si ses jambes se fussent brisées, il ôta sa coiffure et s’essuya le front avec son mouchoir, plusieurs fois, par un geste machinal ; puis se relevant d’une secousse, il s’avança vers la jeune femme, les deux mains tendues, la bouche ouverte, prêt à parler, à lui confier quelque affreuse douleur ; puis il s’arrêta, la regarda fixement, prononça dans une sorte de délire : « Mais c’est votre mari… vous aussi… » Et il s’enfuit du côté de la mer.

Jeanne courut pour l’arrêter, l’appelant, l’implorant, le cœur crispé de terreur, pensant : « Il sait