Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et bientôt, une carriole passa devant lui, qui portait quelque chose d’étrange.

Elle s’arrêta devant le château, puis entra. C’était cela, oui, c’était Elle ; mais une angoisse effroyable le cloua sur place, une peur horrible de savoir, une épouvante de la vérité ; et il ne remuait plus, blotti comme un lièvre, tressaillant au moindre bruit.

Il attendit une heure, deux heures peut-être. La carriole ne sortait pas. Il se dit que sa femme expirait ; et la pensée de la voir, de rencontrer son regard, l’emplit d’une telle horreur qu’il craignit soudain d’être découvert dans sa cachette et forcé de rentrer pour assister à cette agonie, et qu’il s’enfuit encore jusqu’au milieu des bois. Alors, tout à coup, il réfléchit qu’elle avait peut-être besoin de secours, que personne sans doute ne pouvait la soigner ; et il revint en courant éperdument.

Il rencontra, en rentrant, son jardinier et lui cria : « Eh bien ? » L’homme n’osait pas répondre. Alors, M. de Fourville hurlant presque : « Est-elle morte ? » Et le serviteur balbutia : « Oui, monsieur le comte. »

Il ressentit un soulagement immense. Un calme brusque entra dans son sang et dans ses muscles vibrants ; et il monta d’un pas ferme les marches de son grand perron.

L’autre carriole avait gagné les Peuples. Jeanne de loin l’aperçut, vit le matelas, devina qu’un corps gisait dessus, et comprit tout. Son émotion fut si vive qu’elle s’affaissa sans connaissance.

Quand elle reprit ses sens, son père lui tenait la tête et lui mouillait les tempes de vinaigre. Il demanda en hésitant : « Tu sais ?… » Elle murmura : « Oui, père. »