Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vant la porte qui nous attend. Nous allons aux Peuples parce que j’ai affaire là-bas. »

Jeanne crut qu’elle allait s’évanouir tant elle se sentit émue ; et elle s’habilla en tremblant d’émotion, effarée et défaillante à la pensée de revoir sa chère maison.

Un ciel radieux s’étalait sur le monde ; et le bidet, pris de gaietés, faisait parfois un temps de galop. Quand on entra dans la commune d’Étouvent, Jeanne sentit qu’elle respirait avec peine tant sa poitrine palpitait ; et quand elle aperçut les piliers de brique de la barrière, elle dit à voix basse deux ou trois fois, et malgré elle : « Oh ! oh ! oh ! » comme devant les choses qui révolutionnent le cœur.

On détela la carriole chez les Couillard ; puis, pendant que Rosalie et son fils allaient à leurs affaires, les fermiers offrirent à Jeanne de faire un tour au château, les maîtres étant absents, et on lui donna les clefs.

Elle partit seule, et, lorsqu’elle fut devant le vieux manoir du côté de la mer, elle s’arrêta pour le regarder. Rien n’était changé au dehors. Le vaste bâtiment grisâtre avait ce jour-là sur ses murs ternis des sourires de soleil. Tous les contrevents étaient clos.

Un petit morceau d’une branche morte tomba sur sa robe, elle leva les yeux ; il venait du platane. Elle s’approcha du gros arbre à la peau lisse et pâle, et le caressa de la main comme une bête. Son pied heurta, dans l’herbe, un morceau de bois pourri ; c’était le dernier fragment du banc où elle s’était assise si souvent avec tous les siens, du banc qu’on avait posé le jour même de la première visite de Julien.

Alors elle gagna la double porte du vestibule et eut