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DU MOBILE MORAL AU POINT DE VUE SCIENTIFIQUE.

célèbre : « Devoir !... où trouver la racine de ta noble tige, qui repousse fièrement toute alliance avec les penchants ?... » Mais, à cette interrogation, Kant n’a vraiment pas répondu, il n’a pas recherché quel lien de parenté pouvait, malgré l’apparence, rattacher aux autres penchants le devoir « noble » et « fier. » — « La loi du devoir, disait aussi Confucius dans un sens tout kantien, est un océan sans rivage : le monde ne peut la contenir. » — Mais parfois, à trois heures du rivage, la moindre masse d’eau semnie un océan. Quand on navigue sur le fleuve des Amazones, on se croit sur la mer ; pour distinguer le fleuve de la mer, il ne faut pas essayer de regarder au loin, il faut se pencher sur son eau et la goûter. L’analyse intérieure est aussi le seul moyen d’apprécier l’infinité réelle ou imaginaire de notre horizon moral.

Nous nous placerons successivement aux trois points de vue de la volonté, de l’intelligence et de la sensibilité.

Existence d’un certain devoir impersonnel créé par le pouvoir même d’agir. Premier équivalent du devoir. — D’abord, comment mouvoir la volonté sans faire appel ni à un devoir mystique ni à tel ou tel plaisir particulier ?

Ce qu’il y a de vrai et de profond dans la notion mal élucidée du devoir moral peut subsister, croyons-nous, même après l’épuration que lui a fait subir la théorie précédemment esquissée. Le devoir se ramènera à la conscience d’une certaine puissance intérieure, de nature supérieure à toutes les autres puissances. Sentir intérieurement ce qu’on est capable de faire de plus grand, c’est par là même prendre la première conscience de ce qu’on a le devoir de faire. Le devoir, au point de vue des faits et abstraction faite des notions métaphysiques, est une sur-