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PRÉFACE DE L’AUTEUR.

sanction ; consultez vos instincts les plus profonds, vos sympathies les plus vivaces, vos répugnances les plus normales et les plus humaines ; faites ensuite des hypothèses métaphysiques sur le fond des choses, sur la destinée des êtres et la vôtre propre ; vous êtes abandonnés, à partir de ce point précis, à votre « self-government ». — C’est la liberté en morale, consistant non dans l’absence de tout règlement, mais dans l’abstention du règlement scientifique toutes les fois qu’il ne peut se justifier avec une suffisante rigueur. Alors commence en morale, la part de la spéculation philosophique, que la science positive ne peut ni supprimer, ni entièrement suppléer. Lorsqu’on gravit une montagne, il arrive qu’à un certain moment on est enveloppé dans des nuages qui cachent le sommet, on est perdu dans l’obscurité. Ainsi en est-il sur les hauteurs de la pensée : une partie de la morale, celle qui vient se confondre avec la métaphysique, peut être à jamais cachée dans les nuages, mais il faut qu’elle ait aussi une base solide et qu’on sache avec précision le point où l’homme doit se résigner à entrer dans le nuage.

Parmi les travaux récents sur la morale, les trois qui, à divers titres, nous ont paru les plus importants sont en Angleterre, les Data of Ethics, de Spencer ; en Allemagne, la Phénoménologie de la conscience morale, de M. de Hartmann ; en France, la Critique des systèmes de morale contemporains, de M. Alfred Fouillée. Deux points nous semblent ressortir à la fois de la lecture de ces ouvrages d’inspiration si différente : d’une part, la morale naturaliste et positive ne fournit pas de principes invariables, soit en fait d’obligation, soit en fait de sanction ; d’autre part, si la morale idéaliste peut en fournir, c’est à titre purement hypothétique et non assertorique. En d’autres termes, ce qui est de