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BESOIN PSYCHOLOGIQUE D’UNE SANCTION ; SA GENÈSE.

doit pas rester au méchant dans l’univers ; il s’indigne toujours contre le triomphe du mal et de l’injustice. Cette indignation se constate chez les enfants avant même qu’ils sachent bien parler, et on en retrouverait des traces nombreuses chez les animaux mêmes. Le résultat logique de cette protestation contre le mal c’est le refus de croire au caractère définitif de son triomphe. Dominée tout entière par l’idée de progrès, elle ne peut supporter qu’un être reste pour longtemps arrêté dans sa marche en avant.

Enfin, il y a aussi à faire valoir des considérations esthétiques inséparables des raisons sociales et morales. Un être immoral renferme une laideur bien plus repoussante que la laideur physique, et sur laquelle la vue n’aime pas à se reposer. On voudrait donc le corriger ou l’écarter, l’améliorer ou le supprimer. Rappelons-nous la position précaire des lépreux et des impurs dans la société antique : ils étaient traités comme nous traitons aujourd’hui les coupables. Si les romanciers ou les auteurs dramatiques ne laissent pas en général le crime trop ouvertement impuni, remarquons aussi qu’ils n’ont pas coutume de représenter leurs principaux personnages, leurs héroïnes surtout, comme franchement laids (goitreux, bossus, borgnes, etc.) ; s’ils le font parfois, comme Yictor Hugo pour son Quasimodo, leur but est alors de nous faire oublier cette difformité pendant tout le reste de l’ouvrage ou de s’en servir comme antithèse ; le plus souvent, le roman se termine par une transformation du héros ou de l’héroïne (comme dans la Petite Fadette ou Jane Eyre). La laideur produit donc bien, à un moindre degré, le même effet que l’immoralité, et nous éprouvons le besoin de corriger l’une comme l’autre ; mais comment corriger du dehors l’immo-