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CHAPITRE III

Critique de la sanction intérieure et du remords.



Toute sanction extérieure, peine ou récompense, nous est apparue tantôt comme une cruauté, tantôt comme un privilège. S’il n’y a pas de raison purement morale pour établir ainsi, du dehors de l’être, une proportion absolue entre le bonheur et la vertu, y a-t-il une raison morale pour voir cette proportion réalisée au dedans de l’être, par sa sensibilité ? En d’autres termes, doit-il et peut-il exister dans la conscience, pour employer les termes de Kant, un état pathologique de plaisir ou de peine sanctionnant la loi morale, une sorte de pathologie morale, et la moralité doit-elle, a priori, avoir des conséquences passionnelles ?

Figurons-nous, par hypothèse, une vertu si hétérogène à la nature qu’elle n’aurait aucun caractère sensible et ne se trouverait en conformité avec aucun instinct social ou personnel, avec aucune passion naturelle, aucun πάθος, mais en conformité avec la seule raison pure ; figurons-nous d’autre part une direction immorale de la volonté qui, tout en étant la négation des « lois de la raison pure pratique, » ne rencontrerait pas en même temps résistance de la part d’un penchant naturel, d’une passion naturelle (même pas, par hypothèse, le plaisir naturel de raisonner