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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

dans notre nature « pathologique » des aides ou des obstacles ; si nous jouissons ou souffrons, ce n’est plus en tant que notre intention est conforme ou contraire à une loi rationnelle fixe, à une loi de liberté supra-naturelle, mais en tant qu’elle se trouve en même temps conforme ou contraire à notre nature sensible, toujours plus ou moins variable.

En d’autres termes, la satisfaction morale ou le remords ne proviennent pas de notre rapport à une loi morale tout a priori, mais de notre rapport aux lois naturelles et empiriques.

Même le simple plaisir de raison que nous pouvons éprouver à universaliser une maxime de conduite ne s’explique encore que par la tendance naturelle de l’esprit à dépasser toute borne particulière, et, d’une manière générale, par la tendance de toute activité à continuer sans fin le mouvement commencé. Si l’on ne fait pas intervenir de considérations empiriques, toute jouissance morale, ou même rationnelle, ou même purement logique, deviendra non seulement inexplicable, mais impossible a priori. On pourra bien encore admettre une supériorité de l’ordre de la raison sur celui de la sensibilité et de la nature, mais non un retentissement possible de ces deux ordres l’un dans l’autre, retentissement qui est tout a posteriori. Pour que la sanction intérieure fût vraiment morale, il faudrait qu’elle n’eût rien de sensible ou de pathologique, c’est-à-dire précisément rien d’agréable ou de pénible passionnellement ; il faudrait qu’elle fût l’apathie des stoïciens, c’est-à-dire une sérénité parfaite, une ataraxie, une satisfaction supra-sensible et supra-passionnelle ; il faudrait qu’elle fût, relativement à ce monde, le nirvâna des bouddhistes, le complet détachement de tout πάθος ; il faudrait donc