Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
SANCTION RELIGIEUSE.

et de sa sainteté. Du moment où la « Loi morale » personnifiée entreprend ainsi une lutte physique avecles coupables, elle perd précisément son caractère de loi ; elle s’abaisse jusqu’à eux, elle déchoit. Un dieu ne peut pas lutter avec un homme : il s’expose à être terrassé, comme l’ange par Jacob. Ou Dieu, cette loi vivante, est la toute-puissance, et alors nous ne pouvons pas véritablement l’offenser, mais aussi il ne doit pas nous punir ; ou nous pouvons réellement l’offenser, mais alors nous pouvons quelque chose sur lui, il n’est pas la toute-puissance, il n’est pas l’« absolu, » il n’est pas Dieu. Les fondateurs des religions se sont imaginé que la loi la plus sainte devait être la loi la plus forte : c’est absolument le contraire. L’idée de force se résout logiquement dans le rapport d’une puissance à une résistance : toute force physique est donc moralement une faiblesse. Etrange conception et bien anthropomorphique, que de supposer Dieu ayant une geôle ou une « géhenne, » et pour serviteur et geôlier le démon. En somme le démon n’est pas plus responsable de l’enfer que le bourreau ne l’est des instruments de supplice qu’on lui remet entre les mains ; il peut se trouver même assez à plaindre de la besogne qu’on lui fait accomplir. La vraie responsabilité passe par-dessus sa tête ; il n’est que l’exécuteur des hautes œuvres divines, et un philosophe pourrait soutenir non sans vraisemblance que le vrai démon, ici, c’est Dieu. Si une loi humaine, si une loi civile ne peut se passer de sanction physique, c’est, nous l’avons vu, en tant qu’elle est civile et humaine. Il n’en est pas ainsi de la « loi morale, » qui est supposée ne protéger qu’un principe, et qu’on se représente comme immuable, éternelle, impassible en quelque sorte : on ne peut être passible devant une loi impassible. La force ne pouvant rien contre elle, elle n’a pas besoin de lui