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SANCTION D’AMOUR ET DE FRATERNITÉ.

ciale, et ce que nous avons dit des rapports actuels entre les hommes vaut aussi pour les rapports idéaux de tous les êtres les uns avec les autres. À ce point de vue, la récompense devient une sorte de « réponse » d’amour ; toute bonne action ressemble à un « appel » adressé à tous les êtres du vaste univers ; il paraît illégitime que cet appel ne soit pas entendu et que l’amour, infécond, ne produise pas la reconnaissance : l’amour suppose la mutualité de l’amour, conséquemment la coopération et le concours, conséquemment la satisfaction de la volonté et le bonheur. Quant au malheur sensible d’un être, il s’expliquerait, dans cette doctrine, par la présence de quelque volonté aveugle s’élevant contre lui du sein de la nature, du sein de la société universelle. Or si, par hypothèse, un être est vraiment aimant, il deviendra aimable non seulement aux yeux des hommes, mais aux yeux de toutes les volontés élémentaires qui constituent la nature ; il acquerra ainsi une sorte de droit idéal à être respecté et aidé par elles, conséquemment à être heureux par elles. On peut considérer tous les maux sensibles, — souffrances, maladies, mort — comme provenant d’une sorte de guerre et de haine aveugle des volontés inférieures ; lorsque cette haine prend pour victime l’amour même, nous nous en indignons, et quoi de plus juste ? Si l’amour d’autrui ne doit être payé qu’avec de l’amour, nous avons du moins la conscience qu’il doit l’être avec celui de la nature toutentière, non pas seulement avec celui de tel ou tel individu ; cet amour de la nature, ainsi universalisé, deviendra pour celui qui en est l’objet le bonheur, y compris même le bonheur sensible : le lien entre la bonne volonté et le bonheur, que nous voulions briser, sera de nouveau rétabli.

Cette hypothèse, nous en convenons, est la seule et der-