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L’HYPOTHÈSE OPTIMISTE. — IMMORTALITÉ.

mort ne tue pas, elle délivre : elle ne peut pas jeter les âmes dans l’indifférence ou l’impuissance ; il devrait donc y avoir, suivant l’antique croyance, des esprits répandus partout, actifs, puissants, providentiels. Les mythologies des anciens ou des sauvages, les superstitions de nos campagnards devraient être vraies. — Qui oserait pourtant l’affirmer aujourd’hui, ou seulement regarder la chose comme probable ? La science n’a jamais constaté une seule fois l’existence d’une intention bonne ou mauvaise derrière un phénomène de la nature ; elle tend à la négation des esprits, des âmes, et conséquemment de la vie immortelle. Croire à la science, semble-t-il, c’est croire à la mort.

Il y a une troisième objection. C’est chose illusoire que cette induction familière à la vie : je suis, donc je serai. Cette illusion n’en est pas moins naturelle. Encore aujourd’hui on trouve des peuplades de l’Afrique où l’on ne paraît même pas s’imaginer qu’il soit absolument nécessaire à l’homme de mourir : chez ces peuples, l’induction fondée sur la vie l’emporte encore sur celle de la mort. Nous n’en sommes plus là, nous, peuples civilisés : nous savons que notre vie actuelle a un terme ; nous espérons pourtant toujours qu’elle reprendra sous une autre forme. La vie répugne à se représenter et à affirmer la mort. La jeunesse est pleine d’espérance ; l’existence débordante et vigoureuse à peine à croire au néant. Celui qui sent en lui un trésor d’énergie et d’activité, une accumulation de forces vives, est porté à considérer ce trésor comme inépuisable. Beaucoup d’hommes sont comme les enfants : ils n’ont pas encore senti la limite de leurs forces. Un enfant me disait en voyant passer un cheval au galop dans un tourbillon de poussière : « Je courrais bien aussi vite, si je