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DIVERS ESSAIS POUR JUSTIFIER L’OBLIGATION.

distinctifs de la religion par rapport à la science : 1° affirmation pleine et entière d’une chose qui n’est pas susceptible de preuve positive (le devoir, avec la liberté morale pour principe et avec toutes ses conséquences) ; — 2° autre affirmation corroborant la première, à savoir qu’il est moralement meilleur de croire cette chose que de croire autre chose, ou de ne pas croire du tout ; — 3° nouvelle affirmation par laquelle on place sa croyance au-dessus de la discussion, — car il serait immoral d’hésiter un instant entre ce qui est meilleur et ce qui est moins bon. — Du même coup on déclare sa croyance immuable, puisqu’elle est au-dessus de toute discussion. La foi morale ainsi définie repose sur ce postulat : il est des principes qu’il faut affirmer non parce qu’ils sont logiquement démontrés ou matériellement évidents, mais parce qu’ils sont moralement bons ; en d’autres termes, le bien est un critérium de vérité objective. Tel est le postulat que contient au fond la morale des néo-kantiens comme MM. Renouvier et Secrétan.

Pour justifier ce postulat, on fait remarquer que le propre du bien est d’apparaître comme inviolable, non seulement à l’action, mais à la pensée même ; n’est-ce pas une injustice non seulement d’exécuter le mal, mais même de le penser ? Or on pense le mal du moment où on doute du bien. Il faut donc croire au bien plus qu’à tout le reste, non parce qu’il est plus évident que tout le reste, mais parce que ne pas y croire serait commettre une mauvaise action. Entre une proposition simplement logique et son contraire il y a toujours une alternative qui se pose : l’esprit reste libre entre les deux et choisit ; ici l’alternative est supprimée ; le choix ne serait plus qu’une faute : le vrai ne peut plus être cherché indifféremment de deux côtés. Tout