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MORALE DU DOUTE.

disent les Anglais, est aussi inadmissible en morale qu’en métaphysique, bien qu’il soit peut-être logiquement irréfutable dans les deux sphères. »

Cette doctrine, on le reconnaîtra, renferme une grande part de vérité. Il faut seulement nous rendre compte du point exact où cette morale nous mène, et aussi où elle nous laisse. Elle est un effort pour fonder un premier équivalent de l’obligation sur le doute même, ou tout au moins sur la relativité des connaissances humaines, et pour faire sortir d’un certain scepticisme métaphysique l’affirmation de la justice morale. En premier lieu, on peut accorder que la formule pratique du doute est effectivement l’abstine ; mais ce n’est pas seulement de l’injustice que le doute complet devrait s’abstenir, c’est de l’action en général. Toute action est une affirmation ; c’est aussi une sorte de choix, d’élection ; en agissant je saisis toujours quelque chose au milieu du brouillard métaphysique, du grand nuage qui enveloppe le monde et moi-même. Le parfait équilibre du doute est donc un état plus idéal que réel, un moment de transition presque insaisissable. S’il n’y a de moralité vraie que là où il y a action, et si s’abstenir est encore agir, c’est par là même sortir de l’équilibre. Aussi, dans la plupart des cas concrets, le doute métaphysique n’est pas un doute entier et véritable, une équivalence parfaite créée dans l’esprit par divers possibles qui se contre-balancent : il enveloppe le plus souvent une croyance vague qui s’ignore elle-même, tout au moins, comme le reconnaît M. Fouillée, une ou plusieurs hypothèses ; de là vient qu’il peut avoir une influence pratique. L’homme, placé entre les diverses hypothèses sur le monde, a toujours quelque préférence instinctive pour certaine d’entre elles ; il ne reste pas suspendu dans l’ὲποχὴ pyrrhonienne ; il