des hommes comme dans les génies, avec cette différence que l’instinct imitateur domine chez la masse, l’instinct novateur chez les génies. Mais, précisément à cause de cette infériorité de la puissance novatrice dans la masse, tout ce qui satisfait indirectement l’instinct novateur lui plaît. On peut donc en certains cas, de ce qu’une œuvre originale a eu du succès, conclure non qu’elle répondait aux facultés existantes alors dans la masse, mais qu’elle répondait à ses facultés latentes, à ses aspirations et qu’elle a satisfait son goût du nouveau.
L’imitation, avec l’admiration qui en est une forme (car l’admiration est une imitation intérieure), est, avons-nous dit, un phénomène de sympathie, de sociabilité ; le génie artistique lui-même est un instinct sympathique et social porté à l’extrême, qui, après s’être satisfait dans un domaine fictif, provoque par imitation chez autrui une réelle évolution de la sympathie et de la sociabilité générale. En dernière analyse, le génie et son milieu nous donnent donc le spectacle de trois sociétés liées par une relation de dépendance mutuelle : 1o la société réelle préexistante, qui conditionne et en partie suscite le génie ; 2o la société idéalement modifiée que conçoit le génie même, le monde de volontés, de passions, d’intelligences qu’il crée dans son esprit et qui est une spéculation sur le possible ; 3o la formation consécutive d’une société nouvelle, celle des admirateurs du génie, qui, plus ou moins, réalisent en eux par imitation son innovation. C’est un phénomène analogue aux faits astronomiques d’attraction qui créent au sein d’un grand système un système particulier, un centre nouveau de gravitation. Platon avait déjà comparé l’influence du poète inspiré sur ceux qui l’admirent et partagent son inspiration à l’aimant qui, se communiquant d’anneau en anneau, forme toute une chaîne soulevée par la même influence. Les génies d’action, comme les César et les Napoléon, réalisent leurs desseins par le moyen de la société nouvelle qu’ils suscitent autour d’eux et qu’ils entraînent. Les génies de contemplation et d’art font de même, car la contemplation prétendue n’est qu’une action réduite à son premier stade, maintenue dans le domaine de la pensée et de l’imagination. Les génies d’art ne meuvent pas les corps, mais les âmes : ils modifient les mœurs et les idées. Aussi l’histoire nous montre-t-elle l’effet civilisateur des arts sur les sociétés, ou parfois, au contraire,